Quand certains disent qu'ils n'ont pas la vie facile, un sourire s'esquisse sur son visage. Elle comprend, elle peut même compatir, mais le trois quart ne sont vraiment pas à plaindre. On peut avoir quelques regrets : un anniversaire oublié, un cadeau jamais obtenu, un parent décédé même... Mais des fois, c'est mieux. Enfin, c'est toujours mieux que ce qu'elle a connu.
"JOE ! EDEN ! NETTOYEZ MOI CE BORDEL !"
Elle était la petite dernière, ou du moins, la dernière a avoir résisté malgré la pilule du lendemain et les nombreux IVG. Non désirée, tout comme son frère. Pas de père, une mère ou du moins ce qu'il en restait. Une femme égoïste, dégoûtante, bête. Et plein d'hommes autour d'elle, toujours des nouveaux. Ils se permettent de rester dormir, de finir les plats, de toucher leur mère, ils se permettent tout. Mais apparemment : c'est normal.
L'école est un refuge, elle s'évade avec son frère et ils occupent leurs méninges sans penser au soir qui vient. C'est même étrange d'ailleurs, et les gens du quartier le disent : comment une attardée a pu engendrer deux enfants si calmes, polis et intelligents. Parce qu'en plus, plus ils grandissent, plus ils excellent.
Les années passent, Eden devient une jolie jeune femme, on la remarque et à la maison, cela devient plutôt malsain. Ses os se révèlent, bien plus que ses formes au fur et à mesure qu'elle sombre dans l'anorexie. Elle n'a plus faim, et c'est tant mieux car plus elle s'efface, moins on la voit. Et tout ça pour quelques mains baladeuses... Pourtant Joe a grandit lui aussi. Le garçon frêle et timide est devenu plutôt imposant, mais il ne voit pas ou il ferme les yeux.
Elle secoue la tête, sortant de ses pensées. C'était toujours mauvais pour elle de replonger dans ses souvenirs d'enfance. Un frisson la prenait, et son regard se détacha enfin du bibelot qu'elle avait fixé.
"Pardon... Ça me perturbe toujours."
Son psychologue assura que tout venait de ses jeunes années, que là était la clé de son mal-être. Eden avait du mal à y croire, mais elle était prête à tout. Perdre son enfant, perdre son mari, sa maison, c'était trop. Cela devait cesser, redevenir comme avant.
"Mon amour... assieds toi s'il te plait"
C'est ainsi que tout avait commencé. Elle venait d'apprendre sa grossesse inattendue, elle était perturbée, angoissée. Son mari était là, si rassurant mais rien n'y faisait : il lui fallait Joe. Il aurait su lui, lui dire qu'elle ne serait pas comme sa mère, qu'elle était quelqu'un de bien. Alors qu'Ashton ne savait pas, ou du moins pas grand chose de ses sombres origines.
"Je suis vraiment désolé... Ils ne l'ont pas retrouvés."
Disparu. C'est ce qui paru à la une des journaux locaux : le corps du guitariste Joe Quinzel n'a pas été retrouvé suite au crash de son hélicoptère. Quelle délicatesse.
Les crises commencent là. Un jour, elle est Eden, le paradis et la douceur, une battante, donneuse d'amour. Et une nuit, elle devient une furie, une tarée comme on dit, mêlant paranoïa, violences et cris. On lui diagnostique des troubles de la personnalité et le couple explose.
A ce jour, c'est une âme en peine. Forte et faible à la fois mais déterminée. C'est une femme, une mère, une sœur : une personne malade tout simplement.