T'avais que dix-sept ans. Dix-sept ans et t'en avais marre. Marre d'être la gamine idéale. Marre qu'on te trouve mignonne, adorable. Marre d'être toi. Il te faisait te sentir spéciale, différente, mauvaise. Lui, c'était le brun ténébreux, qui parlait toujours à voix basse, qui regardait tout le monde avec un regard pénétrant et à qui il suffisait simplement d'exister pour faire tomber les filles. Le garçon distant du fond de la salle, qui fascine et effraie en même temps. Celui que les parents ont peur de voir tourner autour de leur progéniture, l'incarnation du mal avec une clope dans la bouche et des tatouages aux bras. Toi, t'etais sucre et douceur. Celle à qui on adresse les sourires gentils et qui les rend toujours parce qu'elle est bien élevée et démesurément naïve. Tu voulais vivre le grand frisson, goûter le poison du bout des lèvres sans pour autant le boire, jouer avec le feu, vivre le danger. Rien que l'idée de suivre le chemin que tes parents t'avaient tracé, comme ton frère l'avait déjà fait avant toi, tu pouvais pas te l'imaginer. Tout cette vie synthétique, édulcorée, fausse ; c'était répugnant. C'était plus qu'une rébellion d'ado, tu devais prouver quelque chose au monde. A toi même. T'as même pas eu à prendre la décision, t'étais déjà sur la moto prête à partir. T'avais que dix-sept ans. Dix-sept ans et t'as fugué.


T'avais que dix-neuf ans. Dix-neuf ans et des cicatrices. Des cicatrices sur ton corps. Des cicatrices sur ton cœur. Des cicatrices dans ton âme. Tout a commencé avec une soirée comme une autre. De la musique forte, trop d'alcool. Il n'a pas fait exprès de te faire mal. Juste un bleu sur ton bras. Un petit bleu insignifiant. Tout ce qu'il y a de plus banal. Enfin c'est ce que tu voulais croire. Il était ivre, comme la majorité du temps, et il t'a empoignée un peu plus fort qu'il n'aurait dû. Tu t'es dit que ce n'était pas grand chose. C'était la première fois qu'il te frappait vraiment. Mais certainement pas la dernière. Pourtant tout allait si bien au début. T'étais raide amoureuse. Presque accro. Vous passiez votre temps à boire, danser et faire l'amour. Il s'est excusé, t'a dit qu'il t'aimait et qu'il ne recommencerait pas. Mais il a recommencé. Une gifle pour avoir dansé avec un autre. Un doigt cassé après une dispute. Et pleins d'autres blessures que tu ne peux pas nombrer. Pourtant, quand il a commencé à te ruer de coups, tu lui trouvais des excuses. C'était de ta faute. C'était toi la coupable. Il avait raison. Ça t'a pris du temps pour réaliser. Comprendre que ce n'était pas normal. Pas juste. Mais t'as continué à tout garder pour toi. De toute façon, à qui le dire ? T'avais personne. Et puis tu avais tellement honte. C'est toi qui avait choisi de fuguer. De couper les ponts avec toute ta famille. C'était ta connerie. On t'avait prévenu pourtant - que tout ce qu'il t'apporterait c'était des problèmes. Mais t'avais pas écouté. T'avais été aveuglée par la passion. Et voilà où t'en étais. Seule, effrayée et faible.


T'as vingt-et-un ans et t'as fait une promesse. Tu t'es promis de ne plus souffrir. Tu t'es promis de ne plus l'aimer, lui, et peut-être à la limite, de ne plus aimer du tout. Tu t'es promis de ne plus être faible, et de faire ce qui est bon pour toi. T'as enduré les coups de Zeke sans rien dire pendant deux ans. T'as tenu deux ans. Deux ans à te faire frapper, presque tous les jours. Parce que t'avais peur de ce qu'il ferrait si tu partais et que t'avais nul part ailleurs où aller. Y'avait personne d'autre que toi dans l'équation que tu pouvais pas - que tu voulais pas - résoudre. Mais maintenant t'es plus seule, y'a Jared. Vous vous êtes rencontrés à une fête il y a quelques mois. Il a lu en toi comme dans un livre ouvert. Ou peut-être qu'il a juste prêté un peu attention, lui ; contrairement aux autres qui faisaient semblant de ne pas connaître ta situation. Il a vu dans tes yeux éteints la même tristesse qui remplissait ceux de sa mère quand il était enfant et il a compris. Il t'a prise sous son ail. C'est vraiment un type bien. Le genre à faire la cuisine, à offrir des roses chaque semaine juste par amour et à demander l'autorisation avant d'embrasser une fille. Le genre que tu aurais dû choisir, à la place de Zeke. Pourtant, malgré les coups, les insultes, les menaces et la peur, une partie de toi l'aime toujours. Même s'il n'a pas été sobre depuis des années et que la seule chose qu'il sait faire c'est se servir de toi comme punching-ball, t'es toujours un peu accro. La drogue des faibles. Sauf que cette fois ça a été trop loin et tout ce que tu ressens, c'est la terreur. La peur viscérale qu'il te touche à nouveau, comme il l'a fait cette nuit-là. Qu'il te force, qu'il te fasse mal, qu'il te brise comme cette nuit-là. Qu'il te viole comme cette nuit-là. Tu as pris une décision ; tu t'en vas. C'est risqué. Zeke va essayer de te retrouver. Tu le sais, il ferra tout pour te garder auprès lui, quitte à te faire du mal ou pire, faire du mal aux quelques personnes qui comptent pour toi. Tu l'as déjà vu de tes propres yeux, tuer n'est pas un obstacle pour lui. Mais heureusement il y a Jared pour te protéger. Il est tellement dévoué, il n'a pas hésité une seconde pour t'aider à fuir. Il vous a procuré de nouveaux papiers d'identité. C'est dur de répondre à ton nouveau nom. Maisie Oswald, ça sonne tellement faux. Mais t'es plus Mini McMahon depuis longtemps de toute façon. Tu ressens des choses pour lui depuis le premier jour et tu sais qu'il est fou amoureux de toi. Mais t'arrives pas à accepter tes sentiments. Tu veux plus être amoureuse. Tu veux plus aimer - plus à ce prix. Zeke il t'a détruite et t'as trop peur pour laisser tes sentiments s'exprimer. Tu vois bien que ça lui brise le cœur. Mais tu ne peux juste pas. Alors il attend. Il essaye de recoller les morceaux de ton âme brisée, de réparer ce qui a été foutu en l'air. Le pauvre, il ne mérite pas ça. T'aurais dû le laisser partir, tu le fais souffrir comme ça ; mais tu ne peux pas te passer de lui. Tu veux pas.