Rien à faire : sans la musique, j’étouffe. Et quand je ne suis pas derrière la scène, j’essaie de monter dessus. Pas que je sois un génie de la guitare ou que j’aie la plus belle voix du monde, mais je m’en sors. C’est loin d’être dégueu, assez cependant pour qu’on accepte que je me produise ce soir dans un petit bar. Mine de rien, ça m’enchante. Le haut de l’affiche ne m’intéresse pas tant que ça, je ne passerais pas ma vie en backstage si c’était le cas. Mais pouvoir moi aussi m’amuser de temps en temps, gratter les cordes et faire passer du bon temps aux gens, ça me fait marrer. J’en oublierais presque que je suis cloîtrée à Edimbourg pour plusieurs mois.

Ce soir, mes pas m’emmènent au Myers pub. Enfin, mes pas… disons que j’y suis programmée pour un petit set acoustique d’environ une heure, histoire de chauffer la salle. Moi, ça me va très bien. On ne peut pas dire par contre que je regorge de compos, pas à la guitare, alors j’ai prévu quelques reprises qui devraient faire plaisir aux oreilles.

J’entre et je m’installe. J’aime l’ambiance qui règne ici. Je passe régulièrement boire un verre dans ce pub, quand je me sens un peu trop enfermée. J’aime l’endroit parce qu’on y rencontre toujours quelqu’un qui a quelque chose à raconter. Il vit au rythme de la survie de ses clients. Ça me plaît.

Je commence à jouer. Ça fait du bien. Ça m’apaise et j’oublie très vite où je me trouve. L’heure passe sans que je m’en rende compte et lorsque vient la fin du set, je suis prise d’une pointe de nostalgie. Déjà.

Après avoir rangé ma guitare, je me dirige vers le bar. J’ai soif. Ou peut-être que j’ai simplement envie de boire. De m’amuser un peu. Parce que je me sens bien. Incomplète, mais bien.

Évidemment que la musique ne fait qu’anesthésier un manque déjà bien présent. À Edimbourg, je me sens coincée. J’étouffe déjà alors qu’il n’y a pas dix jours que j’y ai posé les pieds à nouveau. Ce n’est pas tant les jours qui passent, à vrai dire : c’est plutôt de n’avoir rien à quoi m’accrocher. Je ne sais pas quand je repartirai. Ça pourrait être demain comme dans deux ans, comme jamais, peut-être. À cette pensée, j’ai l’estomac qui se serre. Oui, j’ai besoin d’un verre. Pour ne pas gâcher l’euphorie instable sur laquelle je me repose ce soir.

Le Myers Pub grouille. Je me faufile pourtant jusqu’au comptoir sans aucune difficulté. Une tornade de couleurs qui se pose devant mes yeux, ça attire mon attention, ça me fait sourire. C’est pas commun. J’aime ce qui n’est pas commun, et cette barmaid semble tout sauf se conformer aux lois fictives d’une société ridicule. Pessimiste vision des choses, certes, mais néanmoins réelle. Selon mon point de vue nombriliste de nana qui ne vit que pour elle.

Je pose les yeux sur elle. Un verre pour la maison. Je vois que c’est de bon cœur, ça me gêne un peu, aussi. On m’a déjà assez payée pour venir jouer. Je veux dire, pas une somme immense, mais ça me suffit. Je secoue la tête. Puis je me rappelle qu’elle a un patron qui encaisse à sa place. Et ça me fait d’autant plus sourire.

- Un whisky. Mais j’vais te le payer, enfin…

Je lance un coup d’œil furtif à la caisse enregistreuse. Et je ricane.

- Prends pour ta poche, quoi.

Clin d’œil léger. C’est parfaitement ridicule et j’en ai conscience, mais j’aurais jamais pu être barmaid. Rien que pour le courage, elle méritait bien qu’on magouille son patron de quelques Livres. Et puis parce que les patrons s’en foutent toujours trop dans les poches. Est-ce que j’y connaissais quelque chose en business ? Que dalle. Mais la musique, ça payait pareil. J’étais la dernière à m’en plaindre, cela dit. Mais j’étais pas coincée le cul à Edimbourg. Soit.

Mes yeux se posent à nouveau sur la demoiselle arc-en-ciel. Un regard vers le tabouret que j’ai utilisé, toujours posé au même endroit. Puis à nouveau sur elle.

- Ça t’a plu ?